Un homme libre peut-il obéir ?
La liberté, le plus simplement possible peut-être définie par l’absence de chaînes. Un esclave par exemple est un homme qui n’est pas libre. L’homme libre ne peut être soumis, c’est celui qui fait ce qu’il veut, qui ne souffre d’aucune contrainte. L’obéissance quand à elle semble rentrer en totale opposition avec l’idée de liberté. L’homme obéissant peut sentir le poids des chaines peser sur lui. Obéissance et liberté ne semblent pas compatibles. Tout semble opposer liberté et obéissance, pourtant qui aujourd’hui fait ce qu’il veut ? L’homme, cet animal social s’est intégré dans la cité, la « polis » et pour survivre en a accepté les règles, les codes, les lois. Par ce fait est-il vraiment libre ? Est-il possible d’allier liberté et obéissance ? Un homme libre peut-il obéir ?
Dans un premier temps nous verrons que être libre c’est d’abord désobéir. Puis dans un second temps, que la liberté, c’est avant tout obéir à soi même et pour terminer dans une troisième partie que pour garantir un acte libre il faut avant tout obéir à la raison.
L’homme est mis face à un monde qu’il n’a pas crée lui-même. Ce monde lui est donné, et il va devoir pour découvrir sa liberté se libérer d’un certain nombre de chaines. Nous allons donc montrer qu’être libre c’est d’abord dire non aux contraires extérieurs : la liberté émerge de la désobéissance.
Tout d’abord désobéir aux lois de la nature. « l’homme doit se rendre comme maitre et possesseur de la nature » dit Descartes. Si l’homme « doit » se rendre maitre et possesseur de la nature, c’est bien qu’à la base il ne l’est pas. Au départ il obéit aux lois de la nature. Il est celui qui se soumet à des lois qu’il n’a pas choisies. C’est un héritage, il les subit. Son salut va naitre de sa capacité à se libérer des contraintes naturelles, c’est d’une certaine manière, la première manifestation de la liberté de l’homme que d’avoir été capable de s’opposer et en ce sens désobéir aux lois de la nature. Il doit s’affranchir des déterminations naturelles. Alain voit également la liberté comme d’abord un refus, une opposition. Ainsi Alain prend comme exemple l’utilisation des vents pour faire avancer, contre les vents, une petite coquille de noix sur l’océan. On peut également prendre l’exemple du premier homme qui pose le pied sur la Lune, ou quand l’homme se met à naviguer, rouler, voler, s’éclairer. Voilà qui défie et dépasse toutes les lois naturelles ! Tout ce savoir, cette technologie efficace, va montrer, d’emblée, que l’humanité dès l’origine désobéit immédiatement au monde auquel elle est donnée.
Mais il n’y pas que dans l’opposition à la loi naturel que l’homme se libère. C’est dans l’opposition à toutes les lois, quelle soit juste, injuste, naturelle et universelle ou artificielle et singulière. Chaque fois que l’homme éprouve son pouvoir de transgression, qu’il repousse les limites, il gagne en liberté.
Dans le cas de la désobéissance à la loi civile, quand elle est injuste. Evidemment, quand elle est juste, cela pose un autre problème. Mais momentanément, on peut dire que toute évolution politique s’appuie sur la désobéissance à la loi. L’homme arrive, là aussi, dans un milieu qui est structuré par des autres hommes et qu’il n’a encore pas crée ! La loi, même dans un pays démocratique, ou bien sûr elle a été votée par les hommes n ‘est pas faite par celui qui arrive dans ce monde-là. Et quand il arrive dans ce monde, le premier acte de liberté est peut-être de désobéir ! Ainsi la « marche du sel » menée par Gandhi au bord de l’océan et qui a permis l’indépendance de l’inde est un exemple de ce qu’on peut appeler la « désobéissance civile ». Ces actes de désobéissance civile, légitime ou non, exigent une réflexion, la conscience d’un pouvoir, celui de dire « non » et la volonté de l’exercer. Ils sont ainsi le premier signe et la preuve que la liberté est possible. Que les contraintes ne sont jamais absolues, inscrites dans le marbre. Et qu’obéir n’est jamais une fatalité. Rosa Parks, est celle qui a refusé de céder sa place à un Blanc. C’est le début de la fin de la ségrégation aux états unis. Car enfin, une voie s’élève, et dit « non ». La liberté la plus manifeste émerge du refus d’obéir. Et cela rejoint Alain, mais aussi Sartre qui affirme « on n’a jamais été plus libres que sous l’occupation allemande », on a ici cette idée que la liberté s’éprouve, elle s’arrache aux conditions les plus contraignantes. La liberté est toujours, d’abord une lutte. Au moment où la loi est très puissante, très oppressante, prégnante, la position individuelle peut encore être une position de refus. Quel qu’en soit le prix. Celui qui s’élève, qui refuse et pose ce refus comme sa propre loi, son propre jugement, celui-là affirme la possibilité de la liberté et l’impossibilité pour quiconque de la museler. C’est donc bien dans la désobéissance qu’on éprouve, d’abord, le sentiment de la liberté. Dans le milieu scolaire également, au fond, l’élève prend conscience de son individualité et de sa liberté quand il prend conscience qu’il peut dire non à tout cela. Tous les enfants découvrent leur liberté à partir de cette opposition.
La phénoménologie de l’Esprit d’Hegel est une illustration de cette idée, avec la Dialectique du maître et de l’esclave. L’esclave obéit au maitre. Or le moment ou l’esclave va vraiment se libérer, ce n’est pas seulement dans ce premier moment ou il va découvrir sa liberté à travers le travail et la lutte contre la nature, c’est surtout lorsqu’il va tourner le dos au maitre et quand, au risque de sa vie, il va dire non. L’esclavage ne peut cesser que par la lutte et le dépassement des contraintes qui le caractérisent.
Cependant, ce refus de la soumission suffit-il à définir la liberté ? Ou encore, surgit-elle brutalement avec la désobéissance ? En un mot, la liberté est-elle la conséquence nécessaire de la libération ? Quand l’homme a cessé d’obéir à autrui, est-il pour autant assuré de n’obéir qu’à lui-même ? Et qu’est ce qu’obéir à soi-même ?
C’est le thème de la seconde partie. Très naturellement on peut penser que le refus de toute autorité, de tout ce qui opprime et limite, conduit l’homme à vivre sans entraves. Mais qu’est ce que vivre sans entraves ? C'est-à-dire « sans dieu ni maitre » comme le dit la formule. En l’absence de toute contrainte de toute règle, qu’est ce qui guide l’action humaine, ce pouvoir infini de faire ?
Et bien, tout d’abord, vivre spontanément, selon ses inclinations. Vivre selon « son bon plaisir ». Vivre comme on l’entend, au moment ou on l’entend, vivre selon son propre désir, singulier, versatile, fugitif.. C’est là qu’apparait immédiatement le sentiment de la liberté, dans le fait de choisir de faire ce que l’on désire, quand on le désire ; et d’interrompre ses activités quand le jeu n’amuse plus, ou quand le désir se fait paresseux. Et puis recommencer, puisque le désir peut nous conduire à recommencer. En effet par définition, le désir est singulier, il est particulier, il témoigne de l’individualité de chacun, de sa particularité, il appartient à chacun en propre et en ce sens il est le signe de « ma » propre affirmation, il caractérise ma singularité, il « me » caractérise.
Il semble à ce moment-là que lui obéir c’est obéir à moi-même et m’éprouver comme le seul maitre de moi. C’est le point de vue de Rousseau dans du Contrat social, l’homme est libre, absolument libre, totalement libre : il n’a aucune contrainte, aucune limite. Mais « partout il est dans les fers ». Dans les fers sous la loi de la cité ! Il insiste donc bien, par opposition, sur le fait que, à l’état de nature, l’individu est absolument libre, la liberté se définit donc bien, ici, dans la satisfaction des désirs.
Mais le désir n’est pas un, mais multiple. Multi-forme, renouvelé à l’infini, il est instable et insatiable. Les désirs sont contradictoires, ils sont versatiles et mouvants. Bref, ils conduisent l’individu à être submergé par une puissance qui est celle, infinie, du désordre des multiples désirs. Freud fait du désir le produit de la pulsion. Produit d’une pulsion dont nous ne sommes pas maîtres et qui nous échappe totalement. Du coup, il convient de nous demander ici : à quoi obéissons-nous lorsque nous obéissons au désir ? Comme l’alcoolique de Spinoza, qui croyant agir librement en se servant un verre de vin. Que devient l’autonomie d’un sujet traversé de part en part par l’inconstance des désirs ? La critique du désir conduit à montrer que ce que l’on appelle liberté est bien plus souvent le signe de l’aliénation du corps à ses revendications. C’est ce qu’affirme Leibniz en affirmant que : « l’on est d’autant plus libre qu’on agit selon sa raison, d’autant plus esclave qu’on agit selon les passions. »
Pour affirmer notre liberté, il faut, non seulement connaître les causes qui nous font agir, comme le souligne Spinoza dans l’Ethique, mais reconnaitre ces causes comme les nôtres. C’est pourquoi il est permis de douter que l’homme puisse se considérer comme vraiment libre lorsqu’il obéit à son corps, à soi-même. (comme n’importe quel autre animal, même si le désir est toujours plus obscur et complexe que l’instinct). De plus sil l’homme obéit à son corps, il ne peut plus s’éprouver comme l’auteur de ses propres actes, il se sent agi plutôt qu’il n’agit. Déchiré entre désir et volonté.
La solution d’obéir à soi-même ne semble donc pas satisfaisante, nous allons donc voir dans une troisième partie, l’idée qu’être libre c’est peut-être obéir. Mais c’est alors obéir à ce qui me représente véritablement, ce en quoi j’accepte de me reconnaître, c'est-à-dire la raison. C’est alors seulement que l’homme peut se dire libre en tant qu’il est autonome.
L’autonomie, qui est le fait de se donner à soi-même sa propre loi. Auto : soi, soi-même, et nomos : la loi. La loi est donc présente dans la définition même de l’autonomie, qui signifie dépendre de soi seul, être au principe de son être et donc libre, au sens d’indépendant. On ne peut donc pas échapper à sa propre loi pour s’exprimer librement. Être libre c’est à la foi faire des projets, être responsable des actes que nous produisons et s’en sentir l’auteur. Pour s’en sentir l’auteur, il nous faut bien nous référer à la raison. Par son caractère d’universalité, la raison permet à l’homme d’élaborer et de respecter ses propres actes, singuliers et personnels, aussi bien qu’un décret commun destiné à l’humanité. Il faut en somme une intégration de la loi, pour qu’on n’ait pas besoin de gendarmes pour s’arrêter aux feux, qu’on n’ait pas de feux rouge pour s’arrêter à un carrefour, il faudrait que l’homme ai intériorisé la loi au point que toute obligation, toute contrainte devienne superflue. Il faudrait donc, que l’homme intègre et reconnaisse la loi de la raison comme l’unique loi, à la fois singulière et commune pour que librement il s’y soumette et lui obéisse.
En conclusion, nous avons vu dans une première partie que liberté et obéissance était incompatible, pire que c’est dans la désobéissance, le refus de l’autorité, qu’on pouvait voir le premier acte de libération. Cependant la libération n’était pas gage de liberté. Si toutes les règles étaient affranchies, à qui devrait-on obéir ? C’est à cette question que répond la deuxième partie, en postulant qu’être libre c’est obéir à soi-même, c'est-à-dire vivre spontanément selon ses inclinations, être autonome, indépendant. Mais ce postulat est dangereux, le risque d’une dictature des désirs est très importante. Dans une troisième partie, devant les insuffisances d’une obéissance à soi même, nous avons envisagé une obéissance à la raison. Se reconnaitre comme libre, serait obéir à la raison. Ainsi la liberté n’est pas le refus de l’obéissance mais le respect et la reconnaissance de ce que le sujet définit comme soi-même. Comme le dit Spinoza, « l’homme est plus libre dans la cité où il vit selon les droits communs que dans la solitude », solitude dont parlait Rousseau où il n’obéit qu’à lui-même.
Et je ne trouve pas cela risible, bien au contraire,
la fugue n'est ,quelque part, que la recherche de soi-même ( ce dont on a tous besoin un jour ou l'autre, << Humain, trop humain ! >> comme disait Nietzsche )
cela a dû être une expérience très intérressante j'imagine, et enrichissante !